20

 

Edwin arriva rapidement à leur hauteur, le visage soucieux.

— Une bande de pillards à un peu moins de cinq cents mètres, annonça-t-il de sa voix calme. Ils nous ont repérés et sont à cheval. Ils sont plus rapides que nous, il va falloir combattre. Bjorn, tu ne t’éloignes pas du chariot et tu protèges Camille. Sur ta vie.

Edwin n’avait pas haussé le ton, mais sa voix ne tolérait aucune contradiction.

Salim, qui s’était réveillé en sursaut, écarquilla les yeux.

— Et moi ?

Edwin le regarda froidement.

— Tu n’as qu’à rester près de Camille, tu bénéficieras de la protection de Bjorn.

Il se tourna vers le chevalier.

— Camille, sur ta vie. Tu as compris ?

Bjorn acquiesça en silence et enfila son heaume. Edwin poursuivit :

— Je pars devant avec Hans et Maniel. Suivez-nous à environ cent mètres. Nous essaierons de forcer le passage, ils ne sont qu’une vingtaine, mais s’ils venaient à nous déborder, résistez et nous nous replierons sur vous.

— Rien qu’une vingtaine… souffla Salim.

Déjà Edwin avait fait volter son cheval. Il prit le trot, suivi des deux soldats qui avaient dégagé leur redoutable lance.

Bjorn décrocha la hache de combat qui pendait à sa selle et passa la main droite dans le lien de cuir attaché au manche.

— Ça va aller ? demanda-t-il.

Le vieil analyste eut un ricanement.

— Ne t’inquiète pas, jeune homme, j’ai connu des situations autrement plus désagréables. Ce ne sont pas quelques maraudeurs qui vont m’effrayer.

— En avant alors ! s’exclama Bjorn. Edwin Til’ Illan a dit cent mètres, je ne voudrais pas le décevoir.

Duom fit claquer les rênes et les deux chevaux de trait se mirent en marche.

Le ciel choisit cet instant pour s’éclaircir. La lumière blafarde qui précède l’aube donna un peu de relief au paysage. Les pillards avaient dressé leur embuscade dans un petit bosquet que traversait la piste. Quand ils s’aperçurent que leur ruse avait été éventée et que trois hommes armés se dirigeaient vers eux, un rugissement de colère monta des arbres. Edwin leva la main, les deux soldats stoppèrent derrière lui.

À son tour, Duom arrêta l’attelage.

Soudain, un pillard surgit du bosquet, couché sur son cheval lancé au galop. D’autres suivirent en désordre. Edwin poussa un cri et tira son sabre avant d’éperonner sa monture. Hans et Maniel l’imitèrent, leurs monstrueuses lances pointées en avant.

Camille dut plisser les yeux pour discerner ce qui se passait. Edwin, debout sur ses étriers, cingla l’air de sa lame, d’un côté puis de l’autre. Deux pillards s’abattirent. Les lances des soldats entrèrent dans la danse et la mêlée devint confuse.

Bjorn trépignait sur sa selle, pris par l’envie presque irrésistible de se jeter dans le combat. Salim tirait sur ses tresses sans s’apercevoir qu’il menaçait de les arracher. Seul Duom Nil’ Erg demeurait parfaitement immobile.

Camille se sentait distante, détachée. Ce fut pourtant elle qui, la première, aperçut les deux hommes qui, ayant contourné la bataille, fonçaient vers eux.

— Bjorn ! cria-t-elle.

Le chevalier réagit instantanément. Il lança son étalon qui bondit à la rencontre des deux assaillants. Le choc des chevaux se percutant fit un bruit atroce. La hache de Bjorn, meurtrière, se leva et s’abaissa. Salim crut voir un objet rond de la taille d’un ballon s’envoler et les pillards ne furent plus qu’un.

— Pour ceux-là, gémit-il, on fait comment ?

Camille et Duom pivotèrent.

Arrivant de l’autre côté, quatre bandits les chargeaient.

— Pour moi, cracha le vieil analyste, avec Ewilan, si tu t’en sens capable…

Il porta les mains à son front et ferma à demi les yeux, sous le regard effrayé et dubitatif de Salim. Camille perçut la naissance du dessin.

Comme lorsqu’elle avait vu Edwin allumer le feu, elle vit Duom générer une forme qu’il poussa vers la réalité. Les traits étaient sobres mais nets, les couleurs criantes de vérité, du bon travail. C’était une haie de buissons aux redoutables épines, que l’analyste s’efforçait de matérialiser devant les quatre assaillants.

Il allait y parvenir, lorsque son esprit percuta un mur invisible. Il ne lui manquait plus que quelques détails à parfaire pour que le dessin devienne réalité, mais cela lui était soudain impossible.

Camille comprit ce qu’il voulait dire en expliquant que les Ts’liches contrôlaient l’accès à l’Imagination. Une barrière intangible, mais infranchissable, empêchait Duom d’achever son dessin. Le verrou !

Les quatre pillards arrivaient sur eux. Bjorn luttait toujours avec son adversaire et, près du bosquet, la bataille continuait de faire rage.

Camille tendit son esprit vers celui de Duom, qui luttait en vain contre l’obstacle mental. Elle s’empara sans effort de sa création et franchit le verrou ts’lich, impuissant à lui interdire l’accès aux Spires. En une fraction de seconde, elle acheva le dessin. Les épines s’allongèrent jusqu’à mesurer plus de vingt centimètres, la haie s’épaissit en un taillis inextricable et, tout à coup, devint réelle.

Lancés au galop, les chevaux des bandits pilèrent net devant cet obstacle inattendu. Dans un merveilleux ensemble, les cavaliers s’envolèrent, décrivirent une harmonieuse parabole dans le ciel et s’abattirent comme des masses au milieu du taillis.

Des hurlements de douleur s’élevèrent.

— Yahou ! hurla Salim en signe de victoire.

Duom Nil’ Erg tourna vers Camille un regard admiratif qu’elle ne perçut pas.

Un barrage se rompait dans son esprit et le pouvoir déferlait en elle.

Elle comprit le Dessin comme si elle l’avait toujours pratiqué, comme s’il avait toujours fait partie d’elle. Toutes ses nuances, tous ses arcanes, toutes ses potentialités devinrent évidents.

Elle s’ouvrit au don.

Salim la vit se mettre debout sur le chariot. Bjorn finissait de régler son compte à son adversaire et, plus loin, Edwin, déchaîné, épaulé par Hans et Maniel, réduisait en bouillie les bandits restants.

Les survivants durent se dire qu’ils en avaient assez. Sans se concerter, ils firent volte-face pour s’enfuir.

L’orage naquit alors dans l’esprit de Camille. D’abord gigantesque, elle en redessina les contours, le réduisant jusqu’à ce qu’il atteigne la taille voulue en conservant sa puissance.

Les fuyards se croyaient saufs. Leurs chevaux étaient rapides et le monstrueux guerrier qui avait éliminé tant de leurs compagnons ne les poursuivait pas.

Mais le ciel limpide de l’aube naissante se couvrit brusquement. Des nuages noirs, ondulants et menaçants, s’amassèrent au-dessus de leurs têtes tandis que dix mètres plus loin, le soleil apparaissait. L’enfer se déchaîna. Des trombes d’eau s’abattirent sur eux. En quelques secondes, le sol devint un bourbier où les chevaux affolés s’enlisèrent. Dans un affreux enchevêtrement, hommes et animaux s’effondrèrent. Puis, aussi soudainement qu’il était apparu, l’orage disparut.

Couverts de boue, les pillards se relevèrent péniblement et s’éloignèrent tant bien que mal. Les spectateurs ne leur accordèrent pas un regard. Leurs yeux étaient tournés vers Camille.

Elle était toujours debout dans le chariot, les bras levés vers le ciel. Les premiers rayons du soleil se prirent dans ses cheveux qui se nimbèrent d’or.

Elle éclata d’un rire sauvage et émerveillé.

Son héritage retrouvé comblait en elle un gouffre invisible.

De nouveau entière, elle rayonnait de joie.

D'un monde à l'autre
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